L’articulation entre
les deux niveaux praxéologiques
La question de l’articulation entre
les praxéologies « modélisation » et les praxéologies
« déduction » est précédée d’une autre : celle de leur partage
entre les différentes institutions d’enseignement, en particulier entre l’école
secondaire et l’enseignement universitaire. Il serait
trop facile de cantonner
les praxéologies « modélisation » dans le premier niveau
d’enseignement pour réserver les praxéologies « déduction » au second.
Bien évidemment, ces dernières ne sont pas le monopole de l’enseignement
supérieur, l’initiation à des organisations déductives, ne fût-ce que locales,
étant prévue dès le collège dans le cadre de la géométrie synthétique. Pour
d’autres matières telle l’analyse mathématique, la question se pose dans
d’autres termes : il n’est pas évident qu’une initiation aux
démonstrations basées sur un concept de limite défini en termes de
quantificateurs soit indispensable dès le cycle secondaire ; mais sans
doute ne l’est-elle pas plus pour des étudiants universitaires qui sont de
futurs utilisateurs potentiels de mathématiques en économie, en chimie, etc.
Quoi qu’il en soit, le plus important, me semble-t-il, est la visibilité, pour
les étudiants, du projet dans lequel s’inscrit l’enseignement prodigué, que ce
projet soit de l’ordre de la modélisation ou de celui de la mise en ordre
déductive. Et que tout changement de ce point de vue soit souligné par une
(des) situation(s) fondamentale(s) au sens large que je lui ai donné plus haut.
Surtout à l’université où l’on considère implicitement et à tort que les
étudiants ont compris depuis longtemps les règles du jeu associées aux
praxéologies « déduction ».
On peut craindre cependant un manque de netteté de ce point de vue, du
moins en ce qui concerne l’enseignement secondaire, où vivent des praxéologies
qui ne peuvent jouer franchement la carte de la modélisation, étant sous
l’influence permanente mais pas toujours affichée de praxéologies
« déduction », comme illustré dans la section précédente à propos de
la géométrie analytique. L’euclidéanisme (au sens de Bosch et Gascon, 2002)
serait-il le modèle épistémologique dominant ? Ce qui ne signifie pas que
le 2ème niveau praxéologique soit toujours visible pour les élèves ou les
étudiants universitaires : en effet, les praxéologies
« déduction » sont souvent présentées sous une forme achevée, le
travail heuristique étant gommé, même par « îlots », alors qu’il y a
sans doute là des opportunités de situations fondamentales. Tout ceci risque de
rendre peu visible chacun des deux projets visés ainsi que la frontière qui les
sépare.
L’articulation entre les deux niveaux
praxéologiques se pose en des termes spécifiques lorsque ces deux niveaux sont
envisagés, pour un même domaine mathématique, non séquentiellement mais
simultanément. C’est le cas, comme dit plus haut, pour la géométrie synthétique
qui, dès le collège, relève à la fois d’un projet de modélisation et d’un
projet d’organisation déductive, ne fût-ce que local. On peut se demander si un
des deux projets doit déterminer l’autre et lequel ? Ainsi, si l’on se
focalise sur la problématique des distances inaccessibles, les cas d’isométrie
et de similitude des triangles interviennent d’emblée comme « théorèmes en
acte » qui permettent de modéliser sur une feuille de papier des
situations de l’espace sensible sur lesquelles
on cherche prise. Il peut alors
paraître cohérent d’opter pour une organisation déductive qui octroie à ces cas
le statut d’axiomes. Mais on peut également considérer l’ordre de présentation
des théorèmes de géométrie dans le programme comme axe chronogénétique, ce qui
correspond, d’après Artaud et Cirade (à paraître), à une contrainte forte dans
les pratiques enseignantes. Et panacher alors les enjeux de modélisation pour
s’adapter à chacun des théorèmes rencontrés, dans cet ordre : un problème
d’ombre, un problème de grandeur, un autre d’arpentage, … Dans le premier cas,
la dialectique modélisation/déduction se pense, globalement, dans un
sens : de la modélisation vers la déduction et, dans le deuxième cas, elle
se pense en sens inverse.
Une autre
question est liée à celle-là : faut-il penser la dialectique
modélisation/déduction au sein de petites tranches d’enseignement ou de
tranches plus amples ? On peut, par exemple, engranger un certain nombre de
théorèmes en acte lors de phases de modélisation pour les organiser,
après-coup, au sein d’un îlot déductif au sens de Choquet.
De
telles questions et d’autres ont été travaillées lors du TD organisé par
Matheron et Noirfalise au travers de différents « squelettes »
inspirés des travaux des équipes clermontoise et marseillaise d’AMPERES.
Mais, comme je
le montre dans la section suivante, l’articulation entre les praxéologies
« modélisation » et les praxéologies « déduction » relève
d’une réflexion située à un niveau élevé de l’échelle de co-détermination
didactique, au sens de Chevallard : au moins le niveau du domaine mathématique.
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