La formation des
enseignants, en lien avec des questions curriculaires
Des questions liées à cette
articulation, j’ai été amenée à en gérer lors de formations d’enseignants
lesquelles m’ont appris que seule une réflexion épistémologique à créneau très
large permettait aux professeurs de mettre à distance les programmes scolaires
et leurs propres pratiques. Voici en quoi peut consister
une telle formation.
Enjeux d’une formation en géométrie
La formation dont il sera question ici s’adressait à un groupe de huit professeurs enseignant les mathématiques, les uns au collège et les autres au lycée, et qui souhaitaient réfléchir sur l’enseignement de la géométrie au collège, dans une perspective de coordination verticale. Et ce, sur une période de 5 ans : de 1990 à 1995, à raison d’un après-midi toutes les deux semaines. La question principale mise à l’étude était : « Quelle géométrie enseigner au collège ? ». Très vite, les débats se sont orientés vers une critique assez passionnelle d’un enseignement basé sur l’étude des transformations du plan (isométries et similitudes). Notons que cette critique n’émanait pas uniquement de professeurs ayant enseigné avant la réforme des mathématiques modernes. Voici quelques-uns des arguments avancés par les formés : « on n’en fait plus rien au lycée », « Les invariants des isométries tombent comme un cheveu dans la soupe », « les élèves ne comprennent rien aux démonstrations basées sur les isométries : ils se réconcilient avec la démonstration en 3ème lorsqu’on étudie les cas d’isométrie et de similitude des triangles». On était parti là, il y a presque 20 ans, pour débattre d’une question didactique ancienne mais toujours d’actualité si l’on en juge par le rapport Kahane (2002) : « Très contestés dans les années 1960 (on connaît l’invective de Dieudonné :A bas Euclide, plus de triangles !), les cas d’égalité ont disparu depuis la réforme (et ne sont pas revenus depuis). Ce point nous semble être un contresens, même (surtout ?) si l’on pense la géométrie en termes de transformations ».
Mais comment dépassionnaliser le
débat ? C’est ici que j’ai engagé, avec ces professeurs, ce qu’on pourrait
appeler, je pense, un PER sur la géométrie axé sur des questions
épistémologiques et didactiques : le rôle qu’y jouent, d’une part, les
transformations et, d’autre part, les cas d’isométrie des triangles.
Je décris ici, de manière
schématique, quelques jalons de ce PER qui ont fait l’objet d’un ouvrage
destiné aux enseignants et à la rédaction duquel les formés ont participé,
selon leurs possibilités respectives d’investissement :
·
La question de la prise en compte du mouvement ou de
l’expérimental ou celle de leur exclusion pour des raisons métaphysiques et la
manière dont ces questions sont traitées dans une géométrie des transformations
et dans une approche s’appuyant sur les cas d’isométrie.
·
Les limites d’un développement axiomatique « à la
Euclide », faisant l’impasse sur les positions d’objets géométriques.
L’existence d’une « réplique », soit le travail de Hilbert, qui,
contrairement au développement de Klein, donne aux cas d’égalité des triangles
un rôle d’outils de preuve fondamentaux en les faisant apparaître comme
conséquences des axiomes de congruence.
· Le rôle joué par
les transformations dans les problèmes de construction de figures géométriques
(à la manière de Petersen), la méthode performante des deux lieux supposant
souvent qu’un des lieux à l’intersection desquels on trouve le point-clé est
l’image du lieu d’un autre point par une transformation géométrique
précisément. Plus généralement, l’économie de pensée qu’offre l’usage des
transformations dans la résolution de problèmes géométriques et la
démonstration de propriétés de figures quand les circonstances rendent efficace
l’idée de « travailler à une transformation près »
· Le rôle joué par
les groupes de transformations dans la classification et la hiérarchisation des
diverses géométries, conformément au programme d’Erlangen de F. Klein. Les
retombées d’un tel programme sur une efficacité nouvelle en matière de
déduction : d’une part, la possibilité de prouver une nouvelle propriété
en « plongeant » un théorème appartenant à une certaine géométrie
dans une géométrie plus globale et, d’autre part, celle de démontrer un
résultat relatif à une géométrie dans un cas particulier plus simple pour
autant que celui-ci ait une valeur générique au sens de la géométrie concernée
par la propriété en question.
· Des difficultés
d’apprentissage liées à la démonstration : le caractère aisément identifiable
du modèle de démonstration basé sur des critères d’isométrie ou de similitude
des triangles versus la subtilité des démonstrations basées sur les invariants
des transformations; la preuve même de l’existence d’une transformation qui
envoie telle partie de la figure sur telle autre supposant, la plupart du
temps, de regarder les transformations comme des applications du plan dans
lui-même et les figures comme des ensembles de points du plan (e.a. Mante,
1986).
Sur base
d’une telle réflexion, un projet d’enseignement au niveau ‘collège’, portant
sur quatre années d’étude, avait été rédigé (Cojerem, 1995a, 1995b). Ce projet
redorait le blason des cas d’isométrie et de similitude des triangles mais
redonnait par ailleurs une fonctionnalité aux transformations à travers des
problèmes fédérés en classes
autour de techniques standard :
principalement, des problèmes de constructions géométriques par la méthode des
deux lieux.
Une réflexion au niveau du domaine mathématique qui rend noosphériens les
professeurs
Ce que je voudrais souligner ici,
c’est que ce travail avait supposé, comme illustré plus haut, une réflexion de
type épistémologique se situant à un niveau élevé dans l’échelle de
co-détermination didactique, en l’occurrence celui du domaine mathématique
qu’est la géométrie dans son historicité. C’est ce qui avait permis aux
professeurs de prendre de la hauteur vis-à-vis de certaines pratiques liées aux
transformations qui, pendant plusieurs années de scolarité, sont vouées à une
instrumentalité assez proche du néant. Ainsi, ils étaient devenus capables de
comprendre que les symétries orthogonales sont centrales surtout dans une
praxéologie « déduction » à la mode de Klein dans laquelle les
isométries sont définies comme composées de telles symétries mais que les
activités scolaires proposées à leur propos relèvent plus d’un cours de dessin
que d’une initiation à la géométrie.
J’ai relaté ci-dessus une expérience « heureuse » de formation
à l’issue de laquelle les professeurs formés étaient devenus et reconnus comme
de véritables interlocuteurs aux yeux des membres de la noosphère, même si les
positions défendues de manière argumentée par les premiers ont été prises en
compte par les seconds sur un mode mineur en raison de la politique des
compromis en vigueur dans les commissions de programmes. Il faut dire que
plusieurs conditions ont facilité ma tâche de formatrice, à commencer par la
durée de la formation, le nombre restreint de formés, un mandat d’animation qui
m’avait été octroyé par un groupe d’institutions scolaires et les conditions
d’une recherche collaborative au sens de Bednarz et Poirier (2002). Mais, au delà
de ces circonstances, j’ai retenu de cette expérience le sentiment aigu que la
réflexion à ce niveau est une condition nécessaire à la reproductibilité
interne des situations. Je rejoins là de nombreux chercheurs qui ont travaillé
sur les pratiques enseignantes. A commencer par Margolinas (2004) qui montre, à
partir de son modèle de structuration sur le milieu du professeur, que la
réflexion aux niveaux supérieurs, en particulier à celui de la construction du
thème mathématique se répercute sur la qualité des interventions du professeur
dans la classe. D’autant que j’ai pu rapprocher cette formation d’autres
expériences moins heureuses à l’occasion desquelles j’ai pu observer que
l’obsolescence des situations didactiques est liée à l’absence de hauteur que
les enseignants en ont, n’ayant pas intégré leurs enjeux qu’ils soient de
nature didactique, épistémologique ou même mathématique. C’est là que je vois
l’intérêt d’un travail de formation dont « l’arrière-fond »
épistémologique est consistant et remonte au niveau du domaine mathématique,
tel qu’illustré plus haut. Mais, souvent, ce travail de formation débouche sur
une analyse critique des programmes scolaires et c’est pour cette raison que
questions de formation et questions curriculaires sont étroitement
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