Le point de vue de la recherche

J’en arrive au point de vue de la recherche que mon discours et mes exemples précédents vont m’aider à préciser.

            La recherche de discours falsifiables

  Tout d’abord, je reste attachée à une vision poppérienne de la recherche en didactique même si je sais qu’il existe des réserves sur l’exploitation d’un tel paradigme dans les sciences humaines (voir e.a. Passeron, 1991, pour qui les propositions en sciences sociales n’ont pas la même force probatoire qu’en sciences expérimentales). Cependant, je considérerai la falsifiabilité en un sens souple. Au départ, un discours falsifiable est un discours au sujet duquel on peut éventuellement déterminer une situation où le modèle pourrait ne pas fonctionner. En élargissant le sens, à l’instar d’autres chercheurs (Fourez et al., 1997), je considérerai qu’il s’agit d’un discours dont on tente d’expliciter les présupposés sous-jacents autant que faire se peut et que l’on spécifie suffisamment pour qu’il soit possible de concevoir une enquête qui permette de l’infirmer.
Les discours non falsifiables pullulent. En voici un petit échantillon : « Des études scientifiques ont montré l’intérêt des NTICE dans l’enseignement des mathématiques » propos dans lequel on ne précise ni les apprentissages visés, ni les NTICE concernés dont les formes sont pourtant très diversifiées, ni le type d’usage qu’on en fait, ni l’environnement didactique plus global dans lequel s’insère cet usage. Ou bien « L’élève  le droit à l’erreur » sans référence aucune à l’une ou l’autre typologie d’erreurs ou d’obstacles catégorisant les erreurs suivant leur « nature » telle la typologie de Brousseau et à leur rôle supposé dans l’apprentissage. Ou encore « Les situations-problèmes motivent les élèves ». Ces propos non falsifiables le sont en général car leur sens dépend de la définition des concepts mobilisés, souvent implicite, de la description du contexte souvent tue et que ces propos ne prennent pas en compte la multiplicité des paramètres variables en jeu. Ils se rencontrent fréquemment chez les élèves-professeurs, dans leurs cours de psycho-péda mais aussi chez les chercheurs en sciences de l’éducation, voire en didactique, tels Jonnaert et Vander Borght (1999) et Roegiers (2000) qui affirment, sans nuance ni investigation réelle, qu’un enseignement qui fait la part belle aux situations adidactiques favorise l’autonomie des élèves en les préparant à gérer des situations non didactiques.

            Des théories didactiques qui fonctionnent comme des réseaux conceptuels

Le risque des discours non falsifiables en didactique est particulièrement lié à une utilisation normative, à tout le moins militante, de la TSD en particulier, dans laquelle on projette facilement des fantasmes que l’on partage sans doute tous sur l’enseignement et au nom de laquelle on exploite de manière excessive le filon des situations adidactiques ou déclarées telles.
Je ne peux m’empêcher ici de contraster la position des chercheurs précités en 5.1. avec la prudence de Brousseau qui, malgré des conditions d’observation assez enviables, n’a pas cherché à prouver un quelconque bénéfice des situations adidactiques en termes d’apprentissage et a expliqué, lors d'une présentation de la TSD à ICMI 2004, que là n’était pas son entreprise et qu’il a tout au plus établi que des élèves de l'école élémentaire ayant bénéficié d'un tel enseignement réussissent aussi bien que les autres les épreuves nationales, ce qui n’est d’ailleurs pas négligeable à ses yeux, étant donné les « perturbations » apportées au système. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs l’existence d’études statistiques montrant en quoi certaines situations adidactiques sont susceptibles de faire évoluer les conceptions des élèves relatives à des savoirs mathématiques donnés, comme déjà dit plus haut.
C’est que Brousseau et Chevallard se situent surtout dans un projet de modélisation des phénomènes d’apprentissage et d’enseignement. Et c’est dans cette perspective aussi que j’ai opté pour la TSD et TAD en tant que réseaux conceptuels solidaires tant du point de vue théorique que sur le plan méthodologique. Ces théories permettent, me semble-t-il, de mettre à jour et de questionner de manière suffisamment systémique des phénomènes d’apprentissage et d’enseignement en tenant compte conjointement de registres aussi différents que la spécificité épistémologique des savoirs concernés et les contraintes institutionnelles qui déterminent les modalités de leur enseignement, pour considérer deux aspects parmi d’autres. En particulier, je considère (Schneider, 2002) le concept de contrat didactique comme un concept grâce auquel la modélisation que constitue un enseignement basé sur des situations adidactiques est bien un modèle scientifique au sens de Popper, c’est-à-dire un modèle falsifiable pour lequel on peut imaginer une situation où il est mis en défaut. Effectivement, c’est l’analyse du contrat qui permet de déterminer si les conditions d’enseignement et d’apprentissage sont bien celles des situations adidactiques. C’est pour cela d’ailleurs que ce concept est un outil pertinent pour analyser des leçons « ordinaires » qui échappent à ce modèle et qu’il permet de débusquer des leurres d’apprentissage derrière des réussites à des tests mettant ainsi à jour des points aveugles dans bon nombre de recherches psycho-pédagogiques qui font l’économie du questionnement du savoir et de sa modélisation par le biais de situations fondamentales. Quant à l’étude de la transposition didactique et de sa relativité institutionnelle, elle permet de prendre conscience que toute recherche ou proposition d’enseignement est sous la contrainte d’une transposition que l’on se doit de dénaturaliser sous peine de travailler au sein d’hypothèses qui ne s’affichent pas comme telles car elles sont devenues transparentes.
Ainsi, la TAD et la TSD favorisent-elles l’explicitation de présupposés auxquels n’échappe a priori aucun chercheur. C’est pour cette raison qu’elles permettent de falsifier des certitudes illusoires liées à des théories d’apprentissage qui se transforment en idéologies d’enseignement et donc d’en cerner les limites ou les conditions sine que non à leur fonctionnement. Ainsi, l’existence du contrat didactique et la nécessité du processus d’institutionnalisation permettent de mettre en évidence les limites des thèses socio-constructivistes.
Cela dit, le choix de tels cadres théoriques est lié aussi à des circonstances qui me sont personnelles et je me dois de les considérer à leur tour comme des théories scientifiques, au sens de Popper, soit des pièces « à casser » dont il convient d’éprouver la capacité à interpréter des phénomènes, jusqu’au jour où il convient de les remplacer par d’autres plus performantes de ce point de vue car permettant de mettre à jour des points aveugles des recherches actuelles. Je n’exclus pas que d’autres cadres puissent jouer le même rôle ou posséder un pouvoir interprétatif complémentaire mais je me méfie a priori des argumentations métissées en ce sens qu’elles s’appuient sur plusieurs cadres à la fois car il est facile d’en abuser pour faire un plaidoyer en faveur de n’importe quelle action d’enseignement.

 Les ingénieries didactiques, genèses artificielles de concepts, dans une optique poppérienne

Mais revenons aux ingénieries qui sont conçues comme des genèses artificielles de concepts et qui sont celles qui ont pu conduire à quelques illusions ou excès en étant utilisées à des fins de développement. C’est évidemment là que se situe a priori le risque de recherches qui sont des plaidoyers « cachés » en faveur d’un projet d’enseignement et dont les points aveugles sont liés à l’absence de perception des effets de contrat et la transparence de la transposition au sein de laquelle se fait le travail. D’où l’intérêt de se situer dans perspective poppérienne, le discours ne pouvant devenir falsifiable tant que les points aveugles le demeurent.
Dans une telle perspective, il serait sans doute plus facile de tirer parti des ingénieries qui ne marchent pas - au sens où les analyses a priori et a posteriori ne concordent pas - que de celles qui marchent. Pour autant que l’on prenne la peine, comme dit Artigue (1990), de rechercher « ce que, dans les hypothèses engagées, les distorsions constatées invalident » (c’est moi qui souligne), plutôt que de se borner, comme cela arrive souvent d’après l’auteur, « à proposer des modifications de l’ingénierie visant à les réduire sans s’engager donc véritablement dans une démarche de validation ». Quant à prouver que des ingénieries marchent, cela reste périlleux, même si on peut espérer qu’une analyse a priori serrée permette de distinguer ce qui relève du nécessaire et du contingent. C’est d’autant plus difficile lorsqu’elles concernent des tranches amples d’apprentissage et ce, en particulier, à cause des phénomènes d’obsolescence et de reproductibilité.
Et cependant, même dans ce dernier cas, une perspective poppérienne n’est pas exclue. Je vais le développer à partir de l’exemple des travaux de Douady (1986) sur la dialectique outil-objet et d’une critique auxquels ils ont donné lieu, non pour alimenter une quelconque polémique non avérée et de toute façon dépassée mais pour mieux me faire comprendre. Se posant la question « Qu’est-ce qu’un ‘résultat’ en didactique des mathématiques ? », Johsua (1996) évoque la perspective poppérienne en termes de changement de paradigme pour dire qu’il n’existe pas de paradigme dominant en sciences humaines et, en particulier, en didactique des mathématiques. Il insiste cependant, au delà du repérage de phénomènes didactiques, sur la délimitation des conditions d’apparition de ces phénomènes et surtout sur une position plus négative qui consiste à « préciser dans quelles conditions un phénomène didactique dûment repéré n’apparaît pas ». En effet, dit-il, « tant qu’on en reste à l’observation de comportements didactiques effectifs, on a toujours le loisir de ‘rentrer’ ces observations dans la théorie, et le discours sera un peu fermé sur lui-même ». D’où l’importance, aux yeux de cet auteur, des résultats de recherche fondés sur l’étude des conditions limites d’une théorie mais aussi un certain scepticisme exprimé sur des résultats trop liés à la théorisation retenue. Entre autres exemples, il pointe les conclusions avancées par Douady sur le fait que la dialectique outil-objet « ça marche ». Bien que reconnaissant que l’auteure citée précise les conditions dans lesquelles fonctionne cette dialectique et bien qu’exprimant la nécessité d’examiner de plus près son travail de recherche, Joshua ne peut s’empêcher un propos assez sévère : « Mais on peut faire fond sur un énoncé qui se détache largement des conditions de la recherche : ‘on peut faire, au primaire, de la dialectique outil-objet’. Que cet énoncé, pris au pied de la lettre, soit quelque peu dogmatique, c’est certain. Mais sans cctte dîme payée à la dogmatisation, on ne peut guère parler de résultat ».
Nonobstant ce propos qui a la tonalité d’une critique, je pense qu’on peut regarder les travaux de Douady comme une forme d’invalidation, en tout cas de mise à l’épreuve à la mode poppérienne, non pas du fonctionnement didactique qu’elle propose, mais de celui a contrario duquel s’est définie la dialectique outil-objet et que résume l’expression « j’apprends, j’applique ». Ce dernier fonctionnement semble reposer sur une conviction non questionnée inspirée d’une conception déductiviste de l’enseignement qui prête une certaine efficacité à un enseignement allant, comme dit Douady, du « général au particulier », du « signifiant au signifié » ou encore de « l’objet à l’outil ». On touche là à une épistémologie spontanée largement répandue chez les enseignants et qui semble occulter la possibilité de toute autre, ainsi que maintes observations me le confirment. En effet, souvent les enseignants, tous niveaux d’enseignement ou d’ancienneté confondus, méconnaissent les possibilités d’un travail mathématique par les élèves préalablement à tout enseignement.
Or, à l’instar de Brousseau, Douady prouve bien qu’une autre approche est possible, invalidant par là même la conviction du contraire, fût-elle inconsciente. On connaît des conditions nécessaires d’un tel travail : caractère fondamental des questions posées aux élèves, existence d’un milieu permettant leur dévolution, existence d’une niche scolaire où de telles pratiques peuvent se développer, … toutes dimensions dont l’analyse doit permettre d’évaluer si les faits observés ont un caractère nécessaire ou contingent. Mais, outre ces aspects, il en est un sur lequel je voudrais insister : reconnaître la faisabilité d’un tel travail suppose aussi la reconnaissance de formes ou justifications ‘embryonnaires’ des savoirs mathématiques, ainsi que la connaissance de conditions, historiques ou autres, propices à leur développement. Ce sont de telles formes ou justifications embryonnaires que j’ai décrites plus haut à propos des dérivées et de la géométrie analytique 3D. Et que les travaux de Douady (Ib.) ont mis en évidence à propos des réels.

Un modèle de thèses qui allie prudence …

Des recherches, comme celle de Douady, qui montrent la faisabilité d’autres manières d’enseigner, participent à la dénaturalisation de transpositions didactiques devenues transparentes de par leur standardisation au sein d’institutions scolaires. Mais, on peut aller plus loin en mettant évidence des difficultés d’apprentissage que négligent ces mêmes transpositions, l’ingénierie construite servant alors à faire apparaître des phénomènes jusque là invisibles. Encore faut-il, bien sûr, montrer que ces difficultés d’apprentissage ne sont pas propres à la transposition dans laquelle s’inscrit l’ingénierie en question mais qu’elles ont un caractère presqu’« intrinsèque », lié aux savoirs mathématiques visés. Et montrer aussi qu’elles ne sont pas gérées dans la transposition habituelle. De telles recherches doivent être structurées autour de situations fondamentales que l’on déterminera avec un regard praxéologique à l’échelle du domaine mathématique en se situant explicitement par rapport aux niveaux praxéologiques décrits dans ce cours.. C’est à ce prix que ces recherches peuvent participer à la dénaturalisation des transpositions standard tout en affichant les hypothèses au principe de la transposition au sein de laquelle elles s’inscrivent.
On a là, je pense, un modèle de thèse « prudent », l’ingénierie étant cantonnée dans un registre phénnoménotechnique, les phénomènes étant soit de l’ordre des obstacles d’apprentissage « résistants » à la variabilité des transpositions, soit de celui des formes embryonnaires des savoirs que des situations données sont susceptibles de faire apparaître ou des deux. Mais sans chercher aucunement à faire croire ou à « montrer » que l’ingénierie décrit un meilleur enseignement, ou tout simplement un bon enseignement des savoirs concernés. Cette position, dont je ne prétends pas qu’elle conduit au seul modèle formel possible de thèse lié à une ingénierie-genèse de concepts, permet, je pense, de réduire la tension entre les démarches descriptive et prescriptive dont je parlais au début de ce cours. Le thésard fait un véritable travail de recherche phénoménotechnique sans tomber dans le piège d’un plaidoyer en faveur de son ingénierie et de son impact sur les apprentissages. Ce qui n’empêche que, par ailleurs, de telles ingénieries puissent nourrir des idées pour le développement.  

… et retombées sur « l’ordinaire curriculaire »

En effet, en ayant contribué à une certaine mise à l’épreuve de transpositions standardisées, des recherches ainsi pensées pourraient permettre de formuler des propositions argumentées pour améliorer « l’ordinaire curriculaire ». Voilà ce que j’entends par là. En Belgique, mais aussi dans d’autres pays à ma meilleure connaissance (Kahane, 2002), s’est créé un d’équilibre entre plusieurs pôles : le calcul numérique, l’algèbre et l’analyse ; la géométrie avec des aspects synthétiques et calculatoires ; le traitement de données numériques et la pensée aléatoire. Il y a là matière à concevoir un enseignement propre à faire sentir aux élèves en quoi les mathématiques apportent une économie de pensée et d’action, particulièrement bien mise en évidence à travers l’instrumentalité des ostensifs algébriques. Et aussi pour mettre en évidence que les mathématiques relèvent de deux projets fondamentaux : modélisation, d’une part, et mise en ordre déductive, d’autre part. De ce point de vue, la géométrie synthétique continue à jouer un rôle important au niveau secondaire.
Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’il faut fermer la porte à de nouvelles percées qui apparaissent dans certaines filières d’enseignement, par exemple les mathématiques discrètes. Leur avantage majeur est qu’il n’en existe aucune transposition usuelle dont la transparence ferait écran à d’autres. Mais, comme pour d’autres contenus de programmes, il faut encore y gérer la tension entre un enseignement axé sur l’apprentissage d’algorithmes et un autre dans lequel le spectre de la résolution de problèmes inciterait le professeur à éviter de les ‘tuer’ afin de leur conserver un caractère inédit. Il faut aussi éviter quelques illusions sur leurs promesses en matière de motivation des élèves. En effet, il en va de même pour les mathématiques discrètes que pour la plupart des autres contenus d’enseignement : l’entrée dans une théorie, comme celle des graphes, qui permet de catégoriser les problèmes pour en standardiser les techniques de résolution y est coûteuse pour les élèves.
Il n’empêche que cet ordinaire curriculaire doit être aménagé pour aller à l’encontre d’une perspective monumentaliste de l’enseignement. Et pour cela, il convient, je pense, de faire des propositions amples et structurées laissant plus de place, pour l’enseignement secondaire, à des praxéologies « modélisation ». Je donnerai un exemple. Bolea et al. (2001) regardent l’algèbre comme une organisation mathématique au service des autres, la géométrie par exemple. La praxéologie « algèbre » propre au collège, axée sur la résolution d’équations et les programmes de calcul, se prolongerait en une praxéologie « modélisation algébrique-fonctionnelle » au niveau du lycée. Personnellement, je plaide pour la subordination complète de l’algèbre à l’étude des fonctions et cela, d’entrée de jeu, m’en tenant ainsi à une seule praxéologie « modélisation fonctionnelle » au sens différent décrit plus haut, soit l’étude de familles paramétrées standard de fonctions. Comme l’ont montré les travaux de Krysinska (2007), un tel parcours pourrait commencer par les problèmes de dénombrement concernant des suites de nombres figurés lesquels permettent de faire travailler d’emblée, en fonction des questions précises posées, à la fois des relations fonctionnelles, des équations et des identités. Et inspirer ainsi l’ensemble de la praxéologie « modélisation fonctionnelle » en ce sens que l’étude de toutes les équations, inéquations et identités - et aussi celle des nombres - seraient subordonnées à celle des modèles fonctionnels rencontrés. Si j’insiste tant sur ce point, c’est que je pense que l’algèbre est une pierre d’achoppement de l’enseignement des mathématiques dès le début du cycle secondaire, le règne des identités faisant écran, pour les élèves, à toute fonctionnalité de l’algèbre.

D’autres recherches à mener encore …

Pour conclure, je listerai très schématiquement des types de recherche dont la pertinence se justifie à la lumière des points de vue adoptés dans ce cours sur les ingénieries.

·       Des recherches relatives à des genèses artificielles de concepts qui mettent en évidence des obstacles d’apprentissage « résistants » et qui permettent de faire émerger les présupposés des transpositions didactiques usuelles. En particulier, des recherches relatives à des praxéologies « modélisation » au niveau de l’enseignement secondaire. De telles recherches doivent être structurées autour de situations fondamentales que l’on déterminera avec un regard praxéologique à l’échelle du domaine mathématique. C’est à ce prix que ces recherches peuvent participer à la dénaturalisation des transpositions standard tout en affichant les hypothèses au principe de la transposition au sein de laquelle les nouvelles ingénieries construites s’inscrivent. Cette démarche n’est pas toujours faite. Je pense en particulier à plusieurs recherches relatives aux symétries orthogonales dans lesquelles on fait l’économie de la réflexion faite plus haut sur la géométrie. De telles recherches touchent immanquablement à l’ingénierie curriculaire.

·       Des recherches sur les résistances des professeurs à adopter les ingénieries des chercheurs, résistances soit plus transversales, par exemple relatives à leur conception des mathématiques, soit spécifiques aux contenus à enseigner. Je placerais dans cette catégorie les recherches de Rouy (2007) qui montrent, entre autres, que le scénario d’introduction aux dérivées à partir des tangentes pensées comme « limites » de sécantes semble inamovible dans les pratiques d’élèves-professeurs. Mais de telles recherches supposent un environnement où existent des dispositifs phénoménotechniques adaptés et des outils d’analyse suffisamment puissants sur le plan épistémologique. Dans l’exemple de la recherche précitée, l’environnement était celui d’une formation initiale de futurs professeurs de Lycée, formation dans laquelle je les fais travailler sur les enjeux épistémologiques et didactiques d’ingénieries s’inscrivant dans des transpositions assez orthogonales aux transpositions standardisées, telle l’ingénierie sur les dérivées dont il a été question plus haut. Au niveau formation, l’enjeu est de favoriser, chez les enseignants, une prise de recul par rapport aux transpositions existantes. Au niveau de la recherche, le travail sur ces ingénieries permet de faire apparaître les nœuds de résistance tandis que la réflexion en amont de leur construction permet de les interpréter : ainsi, l’attachement aux « faux objets empiriques », obstacle majeur dont j’ai parlé plus haut, permet d’expliquer cet attachement des élèves-professeurs à cette approche de la dérivée alors que la formation leur en explique les limites telles que mises en évidence par des recherches portant … sur le même obstacle.

·       Des recherches sur les caractéristiques des professeurs qui sont « noosphériens » et/ou « dévoluant » avec un certain succès et ce, selon différents points de vue :
o   Les routines dont on sait l’importance dans la pratique professionnelle mais ciblées sur l’observation de professeurs « dévoluant ». Autrement dit, quelles sont les techniques didactiques adoptées par les professeurs qui s’emparent effectivement des ingénieries conçues par les chercheurs ?
o   Leurs compétences théâtrales à les faire vivre.
o   Leur manière d’articuler temps d’action et temps de réflexion.
o  

·       Des recherches sur les savoirs didactiques et épistémologiques qui permettraient aux professeurs d’adopter les ingénieries conçues par des chercheurs et, corollairement, des recherches relatives à la didactique de la didactique … Un enjeu fondamental d’une formation à la didactique est de permettre tant aux chercheurs qu’aux professeurs de prendre du recul, de manière « éclairée », par rapport aux ingénieries construites par eux-mêmes ou par d’autres. En effet, je pense que toute proposition faite à des fins d’enseignement risque d’être reçue dans une perspective assez normative. La condition minimale pour échapper à cela et permettre à ce sujet un débat proprement scientifique est de décrire les enjeux supposés des ingénieries proposées par un discours qui affiche les cadres de pensée et les outils conceptuels de leurs auteurs.

C’est à partir de là que je formulerais le mot de la fin. De nombreux travaux mettent en évidence les résistances des professeurs à adopter les ingénieries conçues par les chercheurs, ce qui rend celles-ci peu viables en un sens écologique. Les raisons en sont sans doute multiples mais il me semble que, généralement, on mésestime l’effort qu’il reste à faire au niveau de la formation et sans lequel il est difficile de conclure quoi que ce soit. Je pense là non seulement à une formation en didactique dont on peut espérer qu’elle ait un caractère un tant soit peu heuristique, mais aussi à une formation mathématique qui intègre une dimension épistémologique et qui permettrait aux enseignants de cerner d’autres modes de vie des savoirs mathématiques que ceux dont ils ont l’habitude. Dans le cadre d’une telle formation, la construction d’ingénieries didactiques de 2ème niveau, au sens décrit par Perrin-Glorian dans cette EE, pourrait permettre aux enseignants de s’approprier, à des fins de développement, les ingénieries conçues pour la recherche. Je verrais alors la négociation porter surtout sur la délimitation des situations adidactiques pour lesquelles j’ai décrit des conditions privilégiées d’usage, en termes de deuil de connaissances antérieures. En dehors de telles circonstances, il me paraît surtout crucial de préserver, pour l’élève, l’intelligibilité du projet mathématique à l’étude, fût-ce par le biais d’un discours heuristique. Il serait temps, en effet, d’affranchir les professeurs du « diktat » des activités et de les aider à restaurer, par l’alternance d’exposés et de moments adidactiques, une « netteté » topogénétique mise à mal dans les cours dialogués.

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